Les cheveux à peine secs de la douche que je viens de prendre suite à la séance de danse plutôt intensive que je viens de donner, je suis face à Victor, le regard fuyant. « Clare tu étais encore en retard, faut que ça cesse. » Je sais pertinemment qu'il a raison, je ne peux pas mener tout ça de front. Pourtant je ne veux pas renoncer complètement à la danse. C'était mon loisir, mon métier, ma passion. J'ai même toujours pensé que ça faisait partie de mon identité et après l'accident j'ai malgré tout réussi à me reconstruire. Mai ne plus du tout pratiquer, non... Cependant après avoir démissionné de mon poste en tant qu'assistante, je dois bien avouer que lorsque l'aéroport m'a proposé un poste à condition que ce soit à temps plein, je n'y ai pas réfléchi à deux fois. Quand je travaillais pour Damian j'ai bien réussi à mettre de l'argent de côté mais absolument pas assez pour arrêter de travailler et continuer de payer mes études. Et demander de l'aide à mon père qui semble heureux pour la première fois depuis la mort de maman  n'étant pas une option, bah je fais comme je peux. Au détriment sans aucun doute des cours que je donne à l'école, oui. D'où le fait que Victor, le président, m'a convoqué dans son bureau. « Mais Vic... Tu sais bien que je fais de mon mieux. » Je relève les yeux et je comprends à son regard qu'il n'apprécie pas de me voir m’apitoyer ainsi sur mon sort alors je reprends aussitôt « Mais j'essaierais plus fort encore, promis. » Il me lance un sourire satisfait. On pourrait le croire insensible mais pas du tout. Il est sans aucun doute la personne grâce à qui je marche aujourd'hui. Après l'accident je ne pensais jamais retrouver l'usage de mes jambes et encore moins pouvoir danser à nouveau. Certes ma carrière pro est loin derrière moi et définitivement, néanmoins dans mon malheur j'ai été chanceuse. Et je ne m'en serai sans doute jamais rendu compte sans Victor. Il a toujours été très dur avec moi mais toujours pour mon bien. Alors je réponds à son sourire et tandis que je m'apprête à quitter son bureau  il me lance « Au fait, le père de Sasha a demandé après toi. Il a dit qu'il t'attendait dans ton bureau... Il a apparemment quelque chose d'urgent à te dire. » Je peux voir sur ses traits son air désapprobateur. Pourtant en entendant parler de Callum je sens mon cœur battre plus fort dans ma poitrine et une excitation que je ne me connais que rarement s'emparer de moi. J'essaie néanmoins de lui répondre le plus calmement possible « Ah bon ? Je vais aller voir ce qu'il veut avant de partir. » Je ne le regarde plus  mais je l'imagine très bien lever les yeux au ciel. Bien entendu que Vic a très bien compris ce qu'il se trame entre le père de mon élève et moi. Bien entendu qu'il désapprouve étant un homme très droit, qui met un point d'honneur à la fidélité et qui n'a d'ailleurs aimé qu'une seule femme toute sa vie sans en regarder une autre, même après qu'elle ait laissé échapper son dernier souffle. Pourtant il ne dit rien. J'appréhende chaque fois le moment où il le fera puisque je sais qu'il sait. Après tout il me connaît mieux que quiconque, mieux que moi-même ou que mon propre père. Et je peux deviner dans son attitude qu'il sait chaque fois qu'il me parle de "Monsieur Caldwin". Mais malgré sa franc parler, malgré sa droiture, il ne dit rien. Se doute-t-il qu'il ne s'est pas encore réellement passé quelque chose ? Assez pour qu'on estime qu'il ne respecte pas ses vœux de mariage mais pas au point non plus qu'on puisse le dire infidèle. Quoiqu'il en soit c'est avec un entrain nouveau que je traverse la salle dorénavant déserte et que je rejoins mon bureau, essayant néanmoins de rester assez neutre pour que l'homme marié que je m'apprête à rejoindre ne se rende pas compte de l'effet qu'il a sur moi. Déjà parce que ma mère m'a toujours dit qu'il ne fallait jamais montrer l'intérêt qu'on porte à un homme mais aussi parce que je me demande si il a réellement quelque chose à me dire ou si c'était juste un énième prétexte pour qu'on puisse passer un moment ensemble, aussi furtif soit-il.

Devant la porte je réajuste rapidement ma tenue, me mordille la lèvre puis entre dans la pièce avec un air faussement décontracté, allant même jusqu'à feindre la surprise lorsque nos regards se croisent. Un sourire joueur se dessine sur mes lèvres, le genre de sourire que je ne destine qu'à lui et tout en me dirigeant vers mon bureau afin d'y déposer mes affaires je lui lance « Monsieur Caldwin, que faîtes-vous là ? » Je pose mon impair sur le porte-manteau se trouvant juste à côté de l'endroit où il est assis et alors que je peux sentir ma robe remonter lorsque je lève les bras sans pour autant que ça n'en montre de trop, j'ajoute « J'imagine que tu n'as pas attendu tout ce temps pour t'assurer que ce fauteuil est confortable et espérer voir un petit bout de peau ? » J'en ai profité pour rejoindre la table qui se trouve  face à lui et qui me sert de bureau afin d'y sortir de mon sac mes notes sur la séance de ce soir et lui tournant donc le dos je reprends  « J'espère que Sasha va bien, pourquoi n'est-elle pas venue aujourd'hui ? » Les yeux baissés, je ne prête qu'à moitié attention aux feuilles que j'ai entre les mains, bien trop déconcentrée par sa présence mais aussi et surtout inquiète pour ma petite Sasha, je dois bien l'avouer.  

Qu'est-ce qu'il a l'intention de lui dire ? Et bien, rien de spécial. Sa requête n'est pas innocente, mais ce n'est pas parce qu'il y a une chose importante dont il doit lui faire part, comme il l'a prétendu auprès du président, et patron de Clare. Non, il veut juste la voir. Encore une fois. Après cinq bonnes minutes à être resté debout au milieu du bureau, il se décide à poser ses fesses sur la première chaise qui lui vient. Il croise ses jambes, les décroise, et ainsi de suite. Son manège dure, s'éternise. Il faut dire que les secondes se transforment vite en minutes, lui laissant tout à loisir le temps de penser aux raisons de sa présence ici. Qu'est-il en train de faire, sérieusement ? Il va tout foutre en l'air, il va ... Voilà, la culpabilité est revenu à l'assaut, ne lui laissant pas la moindre chance de se trouver des excuses ou d'agir comme une personne décente. Tout ce à quoi il peut penser, c'est à sa fille, qui le pense encore au travail. A sa femme, qui est probablement dans le même cas. Et à cette femme, qu'il attend de pied ferme dans son bureau. Elle est la professeure de danse de Sasha, et lui ne trouve rien de mieux à faire que de s'incruster dans son environnement à elle, sous un faux prétexte. Et si elle revient avec son patron ? Il se retrouvera alors bien con, sans réelle chose importante à dire à Clare. Mais non, il se laisse bercer par les illusions et les idées fausses ; il ne la suivra pas. Clare entrera bientôt dans ce bureau, parfaitement seule. Malheureusement, cela ne l'empêche pas de songer, de culpabiliser et de se ronger les ongles. Il est inquiet, mal dans sa peau et sur le point de s'enfuir.

Quand, enfin, après un temps qui lui a semblé durer des heures, la porte s'ouvre, Callum sent tous ses doutes s'envoler de manière instantanée. Il s'autorise à sourire, et à oublier tout le reste. Seule compte la désormais présence de Clare. Et, bien sûr, le fait qu'ils sont seuls. Oubliées ses envies de partir. Oubliées sa femme et sa fille. Il pourrait culpabiliser mais ... Pas maintenant. Il y pensera plus tard, quand il se retrouvera allongé sur le dos dans le lit conjugal. Pour l'instant, elle est là et c'est tout ce qui compte. « Je voulais vous voir, Mademoiselle Camden. » Répond-il du tac-au-tac, sans y réfléchir une seule seconde. C'est toujours ainsi avec elle, il se sent plus libre ; de dire et agir comme bon lui semble. Pas de barrière, pas de frontières, ils sont juste deux personnes foutrement attirés l'un par l'autre et qui jouent à un jeu dangereux, mais oh combien séduisant et tentant. Callum sait qu'il risque fort de s'y brûler les ailes, mais ce n'est pas ce à quoi il pense quand il est avec elle. Comment le pourrait-elle alors que chaque mouvement qu'elle fait, chaque parole qu'elle prononce lui semblent d'or ? Il est hypnotisé par sa bouche qui ne prononcent que quelques mots, par la peau révélée par la robe lorsqu'elle lève les bras, par ... Par tout, en fait. Elle a visé juste ... ou presque. « Peut-être que si ... Je dois bien avouer que ce fauteuil est effectivement très confortable. Et que le bout de peau que j'aperçois d'ici n'est pas déplaisant. » Ce jeu de séduction, Callum l'affectionne particulièrement. C'est un instant privilégié entre deux personnes et, heureusement pour lui, ils sont bel et bien seuls. Personne pour les juger, les observer, les écouter. Rien qu'elle, et lui. Deux adultes consentant qui se cherchent et se taquinent.

Elle aborde le sujet de Sasha et, loin de gêner Callum ou de le mettre dans une situation inconfortable, cela le fait sourire de manière un peu plus raisonné. Songer à sa fille n'est pas déplaisant pour lui, mais c'est tout à fait différent que lorsqu'il songe à Clare et uniquement à elle. « Elle va bien ... elle avait juste beaucoup de devoirs. Elle viendra la prochaine fois, j'y veillerai personnellement. » Le sourire en coin qui suit ses paroles ne laissera pas la place au moindre doute ; pour y veiller personnellement, il viendra même jusqu'ici pour l'accompagner. Si elle l'y autorise, il aimerait assister de plus près à un de ses cours ... Pour la voir évoluer dans ce milieu bien sûr, mais aussi pour pouvoir observer Clare tout à son loisir. Lui, un brin pervers ? Mais non, pas du tout. Elle est juste ... trop attirante pour son propre bien. Et le pire, c'est qu'il ne sait même pas si elle en a conscience.

Soudain, Callum quitte son siège et rejoint le bureau de Clare, auprès duquel elle se tient. Il en fait le tour, se plaçant juste en face d'elle. Ses deux mains rejoignent le bois et il s'y appuie, ce qui lui permet de se rapprocher considérablement de la professeure. « C'était une séance productive et intéressante ? » C'est un jeu hautement dangereux auquel il se prête, mais pour rien au monde il n'en changerait et ne céderait sa place.